Auteure
Judith Cantin
Université de Sherbrooke
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Résumé court
Selon le CLIFAD (2013), le nombre d’étudiants universitaires inscrits en formation à distance dans trois grandes universités du Québec est passé de 33 999, (1995-1996) à 80 910 (2011-2012). Ce nombre ne cesse d’augmenter. Dans la transformation des cours vers des environnements en ligne, la question des pratiques pédagogiques qui permettront aux étudiants de développer les mêmes compétences qu’en présentiel est soulevée. L’une des pratiques privilégiées est la discussion. Notre communication vise à soulever la question de la discussion. S’agit-il qu’il y ait mise en place d’un forum pour qu’il y ait discussion? Un environnement en ligne synchrone est-il propice à la discussion? Comment améliorer la nature et la qualité des échanges dans un environnement d’apprentissage en ligne? Quels concepts peuvent guider l’enseignant dans sa décision d’intervenir ou non dans une discussion asynchrone?
Mots clés
Discussion en ligne; apprentissage en ligne
Résumé long
Introduction
Plusieurs des recherches récentes portant sur la discussion en ligne s’attardent aux effets de la discussion sur les apprentissages sans préciser ce qui la caractérise, ni définir le rôle de l’enseignant lors de la discussion (Jahnke, 2010). Certaines revues de la littérature, quant à elles, proposent une série de comportements susceptibles de soutenir l’engagement des étudiants et les apprentissages (Hammond, 2005). Cependant, les inventaires, aussi aidants soient-ils, peuvent ne pas permettre aux enseignants de bien comprendre le phénomène de la discussion et le véritable référent conceptuel permettant de rendre ce phénomène clair et explicite. Pour pallier cette lacune, nous avons cherché dans la littérature des écrits susceptibles de nous aider à mieux cerner les différentes composantes de l’interaction, la conversation qui peuvent éclairer le phénomène de la discussion dans un contexte d’apprentissage en ligne. Dans cette communication, nous allons brièvement rappeler les écrits de Goffman, 1959,Schegloff, 1996, et Nuchèze, 2001 qui fixent des jalons importants nous permettant d’éclairer les écrits récents sur la discussion en ligne.
Goffman
Dans ses travaux portant sur les interactions, Goffman, (1959) introduit le concept de performance (au sens théâtral du terme) lors de l’interaction. Selon lui, lorsqu’un participant entre en interaction avec une ou plusieurs personnes, il se met en scène comme un acteur. Une prestation est réussie lorsque les participants considèrent que tous les acteurs ayant pris la parole, le public et leur activité étaient valables. Selon Goffman, l’appréciation ou non de la prestation par tous les participants aura tendance à se diffuser à l’ensemble des groupes auxquels les individus appartiennent. Ceux qui ont moins bien performé pourraient « perdre la face ». En transposant ceci à notre contexte, le dispositif de classe virtuelle synchrone correspond à la scène. L’enseignant et les étudiants qui prennent la parole sont les acteurs qui composent le texte de la pièce. Lorsqu’un interlocuteur réussit sa prestation auprès de ses étudiants, le succès de cette prestation engendre, au premier niveau, une appréciation positive du professeur et des étudiants qui en ont pris connaissance, mais elle pourra se répercuter dans un second niveau aux autres étudiants en lien avec ceux qui étaient présents et aux autres professeurs. C’est en partie ce risque qui rend les prestations importantes pour les acteurs.
Goffman met l’accent sur les règles et rites qui permettent d’assurer le succès d’une conversation. Par exemple, avant de prendre la parole, les acteurs se servent d’un ensemble de pratiques pour initier la période de communication en se donnant du crédit mutuellement. C’est ce qui les déclare ouverts les uns aux autres. Dans un contexte d’apprentissage en ligne, pour que les étudiants s’ouvrent, il est nécessaire de prévoir une certaine entrée en matière (Anderson, Rourke, Garrison, et Archer, 2001), comme cela se déroule dans une conversation spontanée.
Grice
Henri-Paul Grice, philosophe du langage, a cherché à comprendre ce qui faisait en sorte qu’une contribution était reconnue comme pertinente dans une conversation. Il a modélisé ses conclusions sous un principe général de coopération et de maximes. Ces éléments conceptuels nous indiquent à quel moment le ou les leaders de la discussion pourraient ressentir un malaise et pourraient intervenir pour aider les apprenants à mieux comprendre le type d’intervention attendu, ou plus précisément, les règles de la discussion dans un environnement d’apprentissage en ligne.
De Nuchèze
Dans un autre ordre d’idées, la sémiologue Violaine De Nuchèze (2001), qui s’inscrit dans la tradition de Goffman, souligne que la situation de classe donne lieu à des « communications spontanées », mais que la majorité du temps, il s’agit de « communications contraintes » initiées par l’enseignant dans lesquelles il a le contrôle. Ainsi, on met souvent en scène « les fausses questions », soit les questions rhétoriques pour lesquelles l’enseignant connaît la réponse. Ceci donne lieu à des échanges binaires (question-réponse) et ternaires (question- réponse-évaluation) qui sont une forme de récitation « in which the teacher asks a series of preplanned questions, (…), and rarely interacts with the substance of students' answers except to evaluate them. » (Nystrand et Gamoran, 1991) Pour éviter ce piège, l’enseignant pourra se rapprocher des caractéristiques de la communication de base en posant les questions les plus authentiques possibles. En l’absence de questions authentiques, les étudiants peuvent entretenir une confusion quant aux règles conversationnelles à adopter.
Conclusion
Dans un contexte d’apprentissage en ligne où les repères habituels quant à la discussion sont absents, il peut être opportun de les clarifier et de les partager explicitement avec les étudiants et de communiquer sa réelle intention d’accéder non pas aux bonnes réponses, mais à la façon dont les étudiants articulent les concepts dans leur réalité.
Références bibliographiques
Anderson, T., Rourke, L., Garrison, D. R., et Archer, W. (2001). Assessing teaching presence in a computer conferencing context. Journal of Asynchronous Learning Network, 5(2), 1–17.
De Nuchèze, V. (2001). Sémiologie des dialogues didactiques. Paris: Editions L’Harmattan.
Flynn, A., et Klein, J. (2001). The influence of discussion groups in a case-based learning environment. Educational Technology Research and Development, 49(3), 71–86.
Goffman, E. (1959). The Presentation of Self in Everyday Life. Garden City, N.Y.: Doubleday.
Hammond, M. (2005). A review of recent papers on online discussion in teaching and learning in higher education. Journal of Asynchronous Learning, 9–23.
Jahnke, J. (2010). Student perceptions of the impact of online discussion forum participation on learning outcomes. Journal of Learning Design, 3, 27–34.
Nystrand, M., et Gamoran, A. (1991). Student engagement: When recitation becomes conversation. In Effective teaching: Current research (p. 257–276).
Schegloff, E. (1996). Issues of Relevance for Discourse Analysis: Contingency in Action, Interaction and Co-Participant Context. Dans E. Hovy et D. Scott (Ed.), Computational and Conversational Discourse SE - 1 (vol. 151, p. 3–35). Springer Berlin Heidelberg.